Les seuls points communs entre le livre et le film résident dans le nom des personnages et la réutilisation par Scott de thématiques/concepts chers à Dick. Si Blade Runner est un faux film cyberpunk lorgnant plus du côté du film noir, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques est un faux roman de science-fiction dissimulant un parcours philosophique, une transfiguration.

Dans le premier (du moins dans la finale cut) on questionne l'humanité de Deckard dans le second c'est la nature humaine que l'auteur interroge.
Que dire de l'homme quand celui-ci a besoin d'une boîte à empathie pour se lier à ses semblables, quand il a besoin de posséder un animal qui dépend de lui pour accéder au bonheur ? Que dire d'un monde où l'homme invente un être qu'il veut semblable à lui tout en le privant de l'essence qui lui est propre ? N'est-ce pas le moment où l'on se rêve Dieu ? Et comme le barbu céleste nous finissons nous aussi par le chasser, lui qui voudrait se hisser à notre hauteur alors que sa nature le lui interdit. Un des points intéressants en redécouvrant l'œuvre a été de me rendre compte que pour devenir "vrai", Deckard doit accepter de détruire le faux (les androïdes). Et la tâche n'est pas si aisée qu'on pourrait le croire. L'artificiel peut être beau, intéressant, agréable, docile, voire attirant — même sexuellement parlant —, mais tout cela n'est que tromperie. Du moins si l'on projette en lui ce qu'on désire voir de nous.
C'est cela que raconte Dick dans ce roman. 

L'histoire d'un chasseur de prime qui "retire" des androïdes comme certains assemblent des Burgers au DoMac: sans âme ni conscience (qu'on me pardonne l'image, mais j'ai visiblement faim à l'heure où j'écris ça).
Puis il croit voir une vie dans la machine et c'est alors que ce cher Descartes et son cogito le rattrapent. Il doute de lui, de son travail, mais d'eux également. Au début du roman, la notion d'empathie est au cœur de sa définition de l'humanité. Mais sa folle journée à courir après 6 d'entre eux, et à croiser un double de lui-même sans la moindre compassion vont égratigner ses certitudes.

Les androïdes rêvent-ils ?

Oui, répond Deckard vers la fin du roman.

 Bien que manufacturés et reproductibles en série, ils sont des êtres pensants, agissant.

Eux aussi connaissent le doute. Dick dépasse le doute cartésien avec cette seule idée !

Ce qui fait l'humanité (selon le roman) ce n'est pas qu'une question d'empathie ou de doute. Être humain c'est accepter de ne pas savoir, de se tromper, de se contredire. C'est accepter l'absurde qui régit nos vies. C'est reconnaître la vérité dans l'artificiel et l'accepter pour l'illusion qu'il est : un reflet de nous-mêmes, de nos imperfections. C'est être payé pour retirer des androïdes, les traquer, les tuer, les aimer, en tuer à nouveau, leur en vouloir de ce qu'ils ont fait naître en nous et sur le seuil, leur pardonner. 

C'est finir ensuite par s'endormir paisiblement après avoir fait le deuil d'une véritable et belle chèvre nubienne fraîchement assassinée, heureux et reconnaissant en pensant à son tout nouveau crapaud électrique.
Si les androïdes peuvent rêver, pourquoi l'homme ne pourrait-il aimer une chimère ?

Enfin bref, j'ai vraiment aimé relire ce roman, il serait resté méjugé par ma lecture sans cela.

Donc pour finir (va vraiment falloir que j'apprenne à faire court) : si vous voulez vraiment découvrir le roman, oubliez le film !